Cet article, après une présentation sommaire des modèles en vigueur en ce début de troisième millénaire, tente modestement de proposer un modèle plus conforme à la réalité, même s’il est sans doute imparfait lui aussi.
Adam et Eve
Le modèle sexe/genre qui prévaut actuellement est un modèle binaire qui sépare l’humanité en deux catégories distinctes, en se basant tantôt sur le sexe biologique (mâle >< femelle), tantôt sur le sexe social ou « genre » (homme >< femme), l’un étant « naturellement » lié à l’autre. D’où les concepts de dimorphisme sexuel, différence des sexes, complémentarité, orientation sexuelle, etc., qui, dans un but de classifier (et donc souvent de hiérarchiser) les individus, opèrent une simplification bien abusive de la réalité. Ce modèle est peu satisfaisant car il présente deux défauts majeurs.
Premièrement, il ne prend en compte que le « sexe » alors que cette notion revêt un caractère problématique [1] étant donné que beaucoup de facteurs entrent en jeu : chromosomes, gonades, organes génitaux, hormones, anatomie interne (reproductrice), ..., tous ces facteurs se présentant différemment chez les divers individus. Il en résulte que bon nombre d’entre eux ne peuvent rentrer dans l’une des deux catégories. Or il semble quelque peu réducteur d’enfermer les êtres humains de manière péremptoire dans deux boîtes étanches suivant le type de gamètes qu’ils/elles possèdent (et d’ailleurs, sont-ils/elles encore des humains quand ils/elles n’en possèdent pas ?).
Deuxièmement, ce modèle tend à naturaliser une différence qui est avant tout construite et reproduite socialement. Le concept de « genre » permet de faire la généalogie de cette différenciation, de mettre en évidence la hiérarchisation qui en découle (rares sont les sociétés où les « femmes » ne sont pas inférieures aux « hommes » !) et d’analyser la dynamique des rapports sociaux suivant une grille de lecture genrée, à l’instar des concepts de « classe » et de « race » qui permettent de décrypter les mécanismes de domination à l’oeuvre dans le monde mais restent des représentations simplifiées d’un réel bien plus complexe. Le « genre » est historiquement binaire et l’opposition masculin/féminin reste profondément ancrée dans la plupart des sociétés contemporaines. Elle en constitue même le fondement, dans une large mesure. [2]
Le continuum
La prétendue binarité du sexe, on l’a vu, ne résiste pas à l’analyse scientifique et les biologistes ont découvert depuis belle lurette que le sexe était continu et que les variations sexuelles étaient quasiment aussi nombreuses que les individus. [3] En ce qui concerne le genre, son caractère binaire est en voie de déconstruction avec la vulgarisation des théories queer et le développement des mouvements transgenre, cross-dresser, intergenre, genderfuck, etc. Les associations comme Genres Pluriels mettent en avant la diversité et la fluidité des genres. Quant à l’orientation sexuelle, elle est déjà présentée par Kinsey (1948) comme un continuum. Par conséquent, un modèle plus « progressiste » est celui des trois continuums : sexe, identité de genre et orientation sexuelle se présentent suivant une large gamme allant d’un pôle à l’autre.
Le problème est qu’un tel modèle continu reste bipolaire et peine à articuler le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les différentes interprétations de tous ces facteurs dans un contexte socioculturel. Il reste en effet dans une large mesure tributaire des représentations culturelles liées à l’hégémonie occidentale : homo/bi/hétéro, homme/femme, mâle/femelle, blanc/noir, ... Au lieu d’avoir « lissé » les identités, il semble avoir surtout mené à la création de nouvelles « cases » et de revendications identitaires qui, si elles visibilisent des groupes de personnes dont on allait jusqu’à nier l’existence il y a quelques années, les enferment aujourd’hui dans des cases de plus en plus petites. On croit à tort que les abstractions comme sexe, genre, orientation sexuelle, etc. sont des concepts différents qui ne se chevauchent pas, alors qu’ils sont liés de façon complexe. Il faut donc penser au-delà du continuum...
Un nouveau paradigme ?
L’Organisation Internationale des Intersexes (OII) est en faveur d’un nouveau paradigme. Dès ses débuts, l’OII a milité dans le sens d’une perspective multidimensionnelle et multiculturelle qui rejette les explications unidimensionnelles binaires de toutes les variations sexuelles et puisse intégrer toutes les variations socioculturelles.
L’OII est convaincu que les sciences qui étudient les variations de sexe et de genre n’ont pas évolué au même degré que les autres sciences et que le sexisme fondamental prédominant entrave le progrès. Le modèle en une ligne qui explique toutes les variations sexuelles avec homme d’un côté et femme de l’autre est analogue à la pensée avant Galilée !
Nous proposons comme alternative un kaléidoscope sphérique :
Au centre : la personne en tant qu’entité complexe éminemment respectable.
Les différents constituants de la personne (sexe, identité de genre, orientation sexuelle, identité ethnique, filiation intellectuelle, croyances, ...) s’assemblent de manière dynamique autour du centre ; leurs liens se font et se défont.
Chaque variation est dans la sphère et ses configurations changent selon la perspective de l’observateur et son contexte socioculturel.
Les combinaisons sont infinies et contingentes ; ce que perçoit le regard extérieur n’est jamais que l’état transitoire d’un système multidimensionnel, multidirectionnel et multiculturel.
Par simple réagencement des éléments au sein de la sphère ou par le biais d’une nouvelle perspective extérieure, l’identité et la différence peuvent ainsi se recréer en continu. Loin de figer la personne dans une identité « naturelle » et immuable, ce modèle lui offre la possibilité d’une existence plurielle dont la richesse réside dans la transformation permanente.
Tanguy Pinxteren & Curtis Hinkle
Juillet 2008