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Stop à la putophobie, à la transphobie et à l’interphobie

Publié le 8 juin 2019 - modifié le 2 février 2020

RÉPONSE À AURORE VAN OPSTAL

Dans une carte blanche intitulée « Stop aux salauds et aux pseudo-féministes », publiée ce 3 juin sur le site du « Soir », Aurore Van Opstal évoque la prostitution et ce qu’elle appelle « l’idéologie trans ».
UTSOPI (l’Union des Travailleu·r·se·s du Sexe Organisé·e·s Pour l’Indépendance) et l’association Genres Pluriels lui répondent.

En tant qu’associations dont la mission est de défendre les travailleurs/euses du sexe et les personnes transgenres et/ou intersexes, nous ne pouvons laisser sans réaction la carte blanche d’Aurore Van Opstal. C’est peu dire que son propos nous a choqué·e·s. En une vingtaine de lignes, l’auteure aligne les pires contre-vérités et fantasmes sur la prostitution et les personnes transgenres. Avec en toile de fond, deux affirmations paradoxales : « Je suis contre la prostitution, mais pas contre les prostituées ». « Je suis contre la transsexualité mais pas pour discriminer les transgenres ».

L’auteure mélange tout

Traitons d’abord de la prostitution. L’auteure, milite pour son abolition. Autrement dit, elle veut supprimer leur gagne-pain aux travailleuses du sexe. Mais elle « n’est pas contre les prostituées ». Bonjour la contradiction. Bien sûr, tout est loin d’être rose dans les métiers du sexe. Les réseaux – la prostitution forcée - existent. Il faut appliquer les lois qui les condamnent. Mais ne pas tout mélanger, comme le fait Aurore Van Opstal. De nombreuses femmes et hommes exercent le travail du sexe de manière consentante. Ils/elles ont droit à des conditions de travail décentes, comme tou·te·s les autres travailleurs/euses. Il faut aussi leur donner la parole. Les abolitionnistes comme l’auteure de la carte blanche, nient complètement la parole des TDS en leur signifiant qu’elles sont des victimes, tellement aliénées qu’elles n’en n’ont même pas conscience. Ces personnes que l’on peut qualifier, à l’instar du sociologue Howard Becker, « d’entrepreneurs de morale », exercent sur les travailleurs/euses du sexe une autre forme de domination.

L’auteure assimile la prostitution à une « culture du viol ». Ce faisant, se rend-t-elle compte qu’elle banalise gravement le vrai viol ? Les clients des TDS ne sont pas des violeurs. Ni violeurs « par nature », ni violeurs « en puissance ». Contrairement à ce qu’écrit Aurore Van Opstal, les femmes ne sont pas « disponibles », même quand elles exercent le métier du sexe. Elles ont le pouvoir de dire « non ». C’est toute la différence entre la traite des êtres humains et la prostitution librement consentie.

Une argumentation fantaisiste

« La prostitution n’est pas un métier comme un autre », écrit l’auteure. Certes, mais dans la société, il existe beaucoup de « métiers pas comme les autres » : proctologue, marin de haute mer, spéléologue, qui n’en sont pas moins des métiers tout-à-fait respectables. A l’appui de sa thèse, Aurore Van Opstal cite des chiffres hautement fantaisistes : le taux de mortalité chez les TDS serait dix à quinze fois supérieur à la moyenne. Pas moins de 60 à 80% des TDS subiraient régulièrement des violences physiques ou psychologiques. De tels chiffres-choc tournent en boucle sur les sites de propagande abolitionnistes. Ils n’ont aucune base scientifique.

L’auteure considère la prostitution comme un « soi-disant métier » exercé par une grande majorité de femmes migrantes, sous-entendant que celles-ci ne seraient pas aptes à consentir une relation sexuelle tarifée. Quelle condescendance ! Quel paternalisme de la part de bourgeoises blanches, bien éduquées qui veulent dicter leur conduite aux TDS. Aurore Van Opstal affirme enfin que « plusieurs syndicats en Europe » ne reconnaissent pas la prostitution comme un métier. Elle passe complètement sous silence que la plupart des associations de terrain ont pris position contre la criminalisation du travail du sexe : Amnesty International, Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Médecins du Monde, ONU-SIDA, etc…..

Nous n’avons pas le choix entre un monde avec ou sans prostitution, mais entre un monde avec une prostitution légale ou illégale, donc clandestine avec les dangers que cela implique.

Personnes transgenres et intersexes : discrimination ou négation-même de leur existence ?

Genres Pluriels ne remerciera pas non plus Aurore Van Opstal pour son discours essentialiste, oscillant entre assimilation erronée du genre [1] au sexe [2], et négation du concept-même de genre, d’identité de genre.

C’est sans exagération qu’on peut dire que cette carte blanche, loin d’être basée sur la réalité des personnes transgenres et intersexes, est transphobe et interphobe à plusieurs niveaux :

  • Nier la différence fondamentale entre sexe et genre, voire nier l’existence de l’identité de genre, revient à proscrire la possibilité qu’une personne ne se reconnaisse pas dans l’identité de genre qui lui a été assignée à la naissance en fonction de son sexe, et donc à considérer que les personnes transgenres n’existent pas. C’est bien cela qu’Aurore Van Opstal entendait par « L’idéologie trans » ?
  • Reprendre le vocabulaire psychiatrique (même pas à jour…) « transsexualité », c’est envisager les transidentités comme relevant de la pathologie mentale, étant donné que ce terme est issu de la nosographie psychiatrique d’antan. Evoquer une particularité, une minorité face à la norme, dans des termes psychiatriques et donc pathologiques, c’est de la discrimination. D’ailleurs, l’OMS a désormais retiré les transidentités (sous le vocable actuel « incongruence de genre ») du chapitre des maladies mentales.
  • La Belgique a également une loi protégeant de la discrimination basée sur le genre [3], et par amendement, sur l’identité de genre et/ou sur l’expression de genre, défendue par l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes.

À l’inverse d’invisibiliser les « violences de sexe » (ce qui est un fourre-tout conceptuel : heureusement, Aurore Van Opstal nous précise qu’elle entend là les violences faites aux femmes), c’est primordial de faire la différence entre les violences subies quant à son identité de genre, ou sur base de son sexe. Si on ne sait pas de quoi on parle distinctement, on ne peut ni signaler clairement la discrimination ou la violence, ni donc espérer pouvoir s’en protéger.

Deux exemples respectifs. Une femme, cisgenre ou transgenre, subit de la discrimination basée sur son genre lorsqu’elle touche un salaire plus bas qu’un homme au même poste. Une personne transgenre subit de la discrimination lorsque son identité de genre n’est pas respectée (ex : l’employeur d’un homme trans* continue à s’adresser à lui avec son prénom féminin d’assignation alors qu’il lui a été demandé d’utiliser son prénom social), et ce malgré son droit humain fondamental à l’auto-détermination [4]. Une personne intersexe, par contre, subit de la violence basée sur son sexe, et un manquement grave à son droit à l’intégrité corporelle entre autres [5], lorsqu’on lui fait subir sans consentement une/des opération·s génitale·s ou autre·s traitement·s médical/aux de « normalisation » dès la naissance.

Là où Aurore Van Opstal a raison, c’est que les discriminations basées sur l’orientation sexuelle relèvent encore d’un autre critère de discrimination, protégé par Unia.

Un pot-pourri d’idées préconçues

En somme, la considération qu’Aurore Van Opstal a pour les personnes transgenres est déjà annoncée dans son titre et dans son premier paragraphe : « la transphobie n’existe pas ». Il y a pourtant des chiffres [6] bien réels qui malheureusement prouvent le contraire.
Le respect qu’elle a pour les personnes intersexes se reflète bien dans l’absence totale de notion à leur égard (là où elle parle pourtant de violence basée sur le sexe).
Le reste n’est qu’un pot-pourri d’idées préconçues (qu’elle prétend dénoncer) sur les sexes et sur les genres, sur la prostitution, mais aussi relatives à d’autres critères de discriminations, culturels notamment.

Et si la définition du féminisme, au-delà de combattre la domination masculine, incluait aussi la lutte pour l’équité en droits entre femmes, hommes et personnes non-binaires, entre personnes transgenres et cisgenres, entre personnes intersexes et dyadiques, de conditions physiques et d’origines culturelles et socio-économiques différentes ?

Et si celles et ceux qui disent défendre les femmes du patriarcat certes bien en place et douloureux, s’informaient un peu de la réalité de toutes les personnes qui en sont victimes plutôt que de les mettre dans des petites cases, bien séparées, dont certaines sont arbitrairement bonnes à garder ou à jeter ?

Sonia Verstappen, co-présidente d’UTSOPI
L’équipe de Genres Pluriels
Avec le soutien de la RainbowHouse Brussels


Ce vendredi 7 juin 2019, le site du Soir a publié notre réponse à la Carte blanche d’Aurore Van Opstal : https://plus.lesoir.be/229294/article/2019-06-07/stop-la-putophobie-la-transphobie-et-linterphobie

[1Le genre est un construit socio-culturel et non une donnée biologique, à la différence du sexe. L’identité de genre d’une personne (femme / homme / personne non-binaire) peut correspondre à celle qui lui a été assignée à la naissance en fonction de son sexe (la personne est alors cisgenre), ou pas (la personne est alors transgenre).

[2Le sexe est un ensemble de caractéristiques biologiques (génétiques, phénotypiques, endocriniennes, etc.) arbitrairement utilisées pour scinder certaines espèces animales, dont les êtres humains, en deux catégories dyadiques : femelles et mâles. Les personnes intersexes présentent des variations des caractéristiques sexuelles, par rapport aux personnes dyadiques.

[3Loi « genre » (2007), amendée aux identités de genres et aux expressions de genres (2014) https://www.genrespluriels.be/Loi-genre-et-ses-modifications

[4Convention Européenne des Droits de l’Homme, entre autres

[6Entre 2008 et 2018, 2982 personnes transgenres et de genres fluides ont été tuées dans le monde, dont 62 % de travailleurs/euses du sexe (source : TGEU).