Le nombre de personnes transgenres en Belgique a récemment été estimé à 4 % de la population [1]. Le pourcentage réel demeure cependant difficilement évaluable, particulièrement à cause de la discrimination et de la transphobie que vivent les personnes transgenres. 10% d’entre elles auraient déjà porté plainte pour discrimination, selon l’enquête de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) réalisée en 2017 [2].
Comme en atteste cette enquête portant sur la situation de vie des personnes transgenres en Belgique, la persistance des stéréotypes de genres dans la société rend encore très difficile le fait de vivre sa transidentité au grand jour, puisque les personnes transgenres qui ont le désir de transitionner [3] juridiquement, socialement et/ou médicalement, se retrouvent exposées à de la transphobie. Cette dernière s’incarne le plus souvent par des violences physiques, du harcèlement, et du rejet, que ce soit dans le cadre de la famille, des études, du travail, ou encore de l’accès aux soins de santé [4]. Discriminations et difficultés d’accès aux droits sociaux et politiques allant souvent de pair, cette population est ainsi particulièrement vulnérable, notamment en matière d’accès aux soins [5].
Bien que toutes les personnes transgenres ne désirent pas une transition médicale, nombreuses sont celles qui souhaitent bénéficier de soins transspécifiques [6], que ce soit par des épilations, des traitements hormonaux, des opérations chirurgicales, ou tout autre modification corporelle qui leur permettra de faire correspondre leur apparence physique au(x) genre(s) au(x)quel(s) elles s’identifient [7].
En Belgique, ce n’est que depuis peu que la question de la défense des personnes transgenres s’est faite une place dans l’agenda politique de nos gouvernements, menant parfois à des avancées importantes (bien qu’insuffisantes : voir nos revendications à ce sujet). En matière de modification de l’état civil, une loi du 25 juin 2017 [8] a ainsi permis de faciliter la procédure en supprimant les conditions médicales – dont notamment celles de stérilisation et de diagnostic psychiatrique – qui s’imposaient depuis 2007. Entrée en vigueur le 1er janvier 2018, les registres nationaux ont depuis lors vu le nombre de modifications monter en flèche. Selon l’IEFH, 2209 personnes ont ainsi modifié leur « enregistrement de sexe » sur leur carte d’identité de 2018 à 2021 [9].
Concernant l’accès et le remboursement des soins transspécifiques, les efforts politiques sont moins notables. En effet, malgré la possibilité d’obtenir l’ensemble des soins transspécifiques sur le territoire belge, et l’existence de remboursements partiels pour la plupart de ces soins par le biais de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, l’accès effectif aux soins de santé pour les personnes transgenres est loin d’être assuré en Belgique . Il ressort ainsi de l’étude de l’IEFH précitée qu’un long moment peut s’écouler entre l’instant où les personnes transgenres réalisent leur besoin de transitionner, et celui où elles ont la possibilité d’entreprendre des démarches pour leurs soins transspécifiques [10].
Il semble ainsi qu’il existe une certaine forme de non-recours (accès et/ou remboursement) aux soins de santé par les personnes transgenres, lequel peut notamment s’expliquer du fait que :
– Seules les « équipes de genre » bénéficiant de subventions (conventions conclues avec l’INAMI [11]) permettent des remboursements – limités – pour certains soins. Ceci ne convient pas aux besoins du public transgenre qui ne peut se diriger que vers 2 hôpitaux, dont le programme d’accès aux soins (et par là au droit à l’autodétermination, à disposer de son corps et à choisir son/sa praticien·ne) est conditionné à un diagnostic psychiatrique, pour des soins qui pourraient être prestés par d’autres praticien·ne·s, créant ainsi des délais d’attente ;
– Les pratiques médicales hors équipes conventionnées (exigence d’un diagnostic psychiatrique préalable à toute prise en charge, non-désiré par de nombreuses personnes transgenres, ou refus de certain·e·s médecins d’établir un diagnostic nécessaire au remboursement de certains soins de santé transspécifiques) sont souvent en inadéquation avec les besoins des personnes transgenres ;
– De nombreux soins utiles dans le cadre d’une transition médicale sont considérés comme « esthétiques » (épilation laser ou électrolyse, augmentation mammaire, opérations de masculinisation/féminisation du visage, …) et ne sont dès lors pas remboursés par la mutuelle ;
– Certaines opérations (vaginoplastie, phalloplastie,...) ne sont que partiellement remboursées dans les équipes conventionnées, et une seule fois (malgré nécessité de réitérer l’intervention pour raisons médicales), ce qui implique un ticket modérateur élevé pour les patient·e·s ;
– Il existe une véritable opacité en matière de remboursement des soins transspécifiques dès lors qu’il n’existe aucune nomenclature spécifique à ces soins ;
– Peu de praticien·ne·s considèrent avoir/ont la formation nécessaire pour dispenser des soins transspécifiques.
À cette difficulté d’accès aux soins transspécifiques, il faut ajouter les nombreux problèmes en matière d’accès aux soins de santé généraux qu’a mis en lumière l’adoption de la loi du 25 juin 2017. Bien que cette loi ait permis des avancées en matière de reconnaissance du droit à l’auto-détermination des personnes transgenres, son adoption a également été à l’origine d’importantes insécurités juridiques inattendues telles que :
– Le non-remboursement de soins ordinaires sexo-spécifiques (IVG, dépistage de cancers sexo-spécifiques, etc.) ;
– Certains soins transspécifiques habituellement remboursés ne le sont plus en cas de modification du « sexe enregistré » sur la carte d’identité. Par exemple : les codes INAMI en cas d’hypertrophie mammaire ou de tumeur bénigne du sein ne sont plus acceptés par les mutuelles pour permettre le remboursement d’une mastectomie ou d’une torsoplastie dès lors que le marqueur de genre de la personne est « M ».
Il existe ainsi un manque de continuité/sécurité juridique dans le cadre de l’application de cette loi, qui n’a pas tenucompte des possibles et fréquentes discordances entre l’état « civil » (ex : « F ») et l’état « anatomique » des personnes transgenres (ex : présence d’une prostate). Cette situation renforce encore la vulnérabilité des personnes transgenres dans leur accès aux soins [12].
1) la prise en charge des différents soins de santé transspécifiques [13] par la mutuelle (cryopréservation des gamètes, épilations, traitement hormonaux féminisants et masculinisants, bloqueurs de puberté, logopédie de féminisation et de masculinisation de la voix, interventions chirurgicales, etc.), et ce sans exigence d’attestation médicale / psychiatrique ;
2) que l’accès aux soins de santé transspécifiques soit facilité, en mettant à disposition suffisamment de
financements pour que les professionnel·le·s du Réseau Psycho-médico-social Trans* et Inter* belge habilité·e·s à donner toutes les informations nécessaires à faire le choix éclairé de ces soins puissent, d’une part, recevoir les personnes concernées en consultation au plus près de chez elles et à bas seuil et, d’autre part, augmenter la quantité de formations des autres professionnel·le·s des secteurs psycho-médico-sociaux aux besoins spécifiques des personnes transgenres et de leur entourage ;
3) que les personnes transgenres puissent faire partie du public vulnérabilisé reçu par toutes les maisons
médicales, en ôtant la restriction actuelle s’appliquant à celles au forfait ;
4) que toutes les mutuelles soient informées que le remboursement d’un soin sexospécifique doit se faire au regard de la présence de l’organe et non du numéro de registre national genré du/de la patient·e.
