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Rébellion intersexe

Publié le 25 janvier 2009 - modifié le 14 juin 2019

Les associations d’hermaphrodites vont manifester à Genève
contre les opérations génitales forcées.

par Marie-Christine Petit-Pierre
Publié dans Le Temps, samedi 24 janvier 2009

Les personnes nées avec un sexe mal défini veulent pouvoir choisir si
elles souhaitent recourir à la chirurgie ou non.

Est-ce un petit pénis ou un grand clitoris ? Que faut-il faire
lorsqu’un enfant naît avec un sexe ambigu ? Un cas de figure qui se
présente dans une naissance sur 2000 environ. Jusqu’à récemment, les
médecins répondaient le plus souvent par la chirurgie et les
traitements hormonaux, il fallait décider, vite, du « vrai » sexe du
nouveau-né. Aujourd’hui les hermaphrodites n’acceptent plus ce diktat.
Explications avec François Ansermet, chef du service de psychiatrie de
l’enfant et de l’adolescent à Genève. Alors que l’Association des
personnes intersexuées se prépare à manifester à Genève sur la place
des Nations les lundis 26 janvier et 2 février.

Le Temps : Des militants vont manifester contre les opérations
génitales forcées pour personnes hermaphrodites. Les traitements
sont-ils toujours aussi radicaux ?

François Ansermet : Jusque dans un passé récent, on intervenait le plus
vite possible lorsqu’un enfant naissait avec une ambiguïté génitale.
Il fallait décider de son « vrai » sexe le plus tôt possible, l’opérer,
lui donner un prénom défini. Les médecins agissaient selon le
paradigme dit de Johns Hopkins, du nom de l’hôpital américain où
exerçait le fameux endocrinologue John Money, grand défenseur de la
correction chirurgicale et hormonale de les intersexuations. On pensait
qu’il était indispensable de construire une anatomie définie pour que
l’enfant puisse élaborer son identité sexuelle.

 Et aujourd’hui ?

 L’idée de s’appuyer sur un sexe d’attribution a été en particulier
troublée par certains cas de changement de sexe ultérieurs. Le
paradigme de Johns Hopkins a alors été largement remis en question.
Nous avons été amenés à nous interroger sur la différence sexuelle. A
quoi tient-elle ? Est-ce chromosomique, endocrinien, morphologique,
cérébral ou une construction culturelle et sociale ? J’ai une jeune
patiente, très jolie, avec une morphologie tout à fait normale, qui a
découvert à 16 ans qu’elle était XY et porteuse d’un testicule
féminisant (le testicule produit de la testostérone mais les
récepteurs pour cette hormone ne fonctionnent pas, ndlr). La médecine
a désavoué son sexe, elle lui a dit qu’elle était un homme. Cette
jeune fille a vécu un traumatisme majeur et dit s’être sentie « jetée
hors du langage ».

 Elle n’avait plus de mots pour se définir ?

 Tout se passe comme si un corps atteint déstabilisait le langage. On
ne sait plus ce qui est identique et différent, tout bouge. C’est
pourquoi les personnes nées avec une ambiguïté génitale n’aiment pas
que l’on utilise le terme d’hermaphrodite. Elles préfèrent celui
d’intersexué. La médecine parle de pseudo-hermaphrodite ou d’ambiguïté
génitale.

 Aujourd’hui on préfère laisser le choix de leur sexe aux intersexués ?

 La question du choix se pose d’autant plus avec un enfant, puisqu’il
n’est pas en mesure d’y participer. Ce sont d’abord les médecins qui
interviennent dans le choix de son sexe. Aujourd’hui certains
intersexués revendiquent la liberté de ce choix. Chaque sujet est de
toute façon unique. Son identité ne peut pas être ramenée à la seule
identité de genre. Il y a plus de différences entre deux sujets qu’il
n’y en a entre l’ensemble des masculins et l’ensemble des féminins.

 Devrait-il y avoir un troisième sexe ?

 Anne Fausto-Sterling, professeure de biologie et d’études genre aux
Etats-Unis, propose d’admettre l’existence de stades intersexuels. Les
pseudo-hermaphrodites posent la question : le sexe est-il deux ou
multiple ? Pour eux, il n’est pas normal d’être obligé de se ranger
dans la catégorie femme ou homme. Ils estiment avoir le droit d’être
intersexuels.

 La chirurgie met-elle en cause la sexualité des intersexuels ?

 Ne pas se faire opérer est également un choix de jouissance. Ceux
qui luttent contre une opération trop précoce dénoncent en effet les
conséquences des mutilations provoquées par la chirurgie qui les
privent des sensations des organes touchés et peuvent les laisser
insensibles.

 Comment envisagez-vous l’avenir ?

 Aujourd’hui, en tenant compte des changements dans les règles de
soins aux intersexués, je pense que nous devrions travailler en
collaboration. En associant chirurgiens, psychiatres, associations de
patients et recherches en études genre pour construire une prise en
charge adéquate des patients.