Qu’est-ce qu’une femme ?

Publié le 20 janvier 2010 - modifié le 10 novembre 2014

Quoi de plus objectif que la science pour déterminer ce qu’est un homme, ce qu’est une femme ? Loin des préjugés et des stéréotypes, les biologistes, les généticiens, les anthropologues devraient être capables de nous fournir des réponses satisfaisantes... Et pourtant, même la science succombe parfois aux clichés sur le genre !

C’est une évidence que l’on oublie trop souvent : les scientifiques sont, comme les autres humains, des produits de leur époque, avec ses croyances et ses idées reçues. Cela est particulièrement vrai à propos des questions de genre, d’autant que l’écrasante majorité de ces scientifiques sont des hommes... Pour faire connaître d’autres points de vue, l’association Genres Pluriels a invité, dans le cadre du festival "Tous les genres sont dans la culture", Évelyne Peyre et Joëlle Wiels, toutes deux chercheuses au prestigieux institut de recherche français CNRS, mais également féministes intégrant dans leurs travaux une lecture de genre.

Le cheval et l’autruche

Biologiste et anthropologue, Évelyne Peyre a fait une brillante démonstration des mille astuces utilisées au fil des siècles par la science pour "construire" les différences entre hommes et femmes. Alors que le premier squelette humain, présenté par Vésale en 1543, était "asexué", les représentations différenciées de "l’homme" et de "la femme" sont apparues au 18e siècle. L’une des illustrations de l’époque est très suggestive : non seulement le squelette masculin est plus grand - ce qui peut encore se comprendre, même si l’écart de taille est nettement exagéré -, mais d’autres détails sont là pour accentuer les différences. Ainsi, les femmes sont dessinées avec un torse très étroit sans mention du fait que, dans les classes sociales élevées, les filles portaient, dès l’âge de dix ans, un corset empêchant le développement normal du torse. Une mutilation présentée comme "naturelle"... Le décor de l’image n’est pas neutre non plus puisque le squelette masculin apparaît devant un manoir, un cheval à ses côtés. La femme, elle, est montrée en pleine nature, avec pour compagne une autruche !

Au milieu du 19e siècle naît une nouvelle science, l’anthropologie. Comparant différentes "peuplades" - tel était le vocabulaire de l’époque -, elle s’intéresse notamment à la forme du crâne et au volume du cerveau pour arriver à la conclusion que femmes et "primitifs" montrent des similitudes, ce qui confirme la suprématie de l’être le plus évolué : l’homme blanc ! Il faut citer ici Gustave Le Bon qui a vu dans les crânes féminins une proximité avec ceux des "nègres" - racisme et sexisme vont souvent de pair - et des gorilles, tous ces cerveaux étant selon lui inaccessibles à la raison. "Créées pour la vie intérieure et les occupations du foyer, les femmes n’en doivent pas sortir", conclut-il [1]. On doit à la vérité historique de préciser que Le Bon a fini par être exclu de la Société d’Anthropologie pour aller sévir dans le domaine de la psychologie sociale.

Des clichés tenaces...

Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Si la forme du crâne ou le poids du cerveau ont été abandonnés comme critères de prétendue infériorité des femmes, certaines idées fausses restent bien ancrées. On les retrouve notamment dans ces ouvrages qui nous expliquent que les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, ou pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières tandis que les hommes ont un sens de l’orientation surdéveloppé (lequel, il faut l’ajouter, semble s’arrêter à l’entrée de la cuisine...) [2]. Même s’ils prétendent faire oeuvre de vulgarisation scientifique, ces livres reposent en réalité sur les clichés les plus ancestraux.

Il y a aussi des différences physiques qui nous paraissent évidentes, comme la forme du bassin qui serait, chez les femmes, faite pour porter les enfants et les mettre au monde. Évelyne Peyre balaie cette autre idée reçue : chez les humains, la forme du bassin a surtout évolué... pour s’adapter au fait que nous marchons sur deux pieds et non à quatre pattes. Et les variations à l’intérieur d’une même catégorie de sexe sont plus grandes qu’entre hommes et femmes. En réalité, 66 % des squelettes sont sexuellement indéterminés. Et d’après leur morphologie, la plupart des hommes seraient parfaitement capables d’accoucher...

Femelle par défaut ?

Mais alors, si on ne peut pas se fier aux apparences, est-il au moins possible d’asseoir des certitudes grâce à la science la plus moderne, à savoir la génétique ? XX : ceci est une femme. XY : ceci est un homme. La généticienne Joëlle Wiels nous met en garde : ce n’est pas si simple ! Tout d’abord, l’idée que deux chromosomes semblables définiraient la femelle, tandis que deux chromosomes différents feraient le mâle connaît un grand nombre d’exceptions, à commencer par certaines espèces animales. Chez les oiseaux, par exemple, les chromosomes sont semblables pour le mâle et différents pour la femelle ; chez les abeilles, c’est le nombre de chromosomes qui détermine le sexe : le mâle en a moins. Le plus surprenant se passe chez les crocodiles et les tortues, où c’est la température d’incubation des oeufs qui détermine le sexe.

Pour en revenir aux humains, Joëlle Wiels insiste sur l’existence de configurations atypiques comme XXY, XYY ou XO. Ces combinaisons concernent un nombre non négligeable de personnes (1 naissance sur 500 est de type XXY). Génétiquement donc, le sexe est une chose complexe, où "masculin" et "féminin" ne sont pas aussi tranchés qu’on le pense. Il faut également prendre en compte l’influence hormonale, le "sexe psychologique" (qui peut être différent de l’apparence physique) ou encore les enfants qui naissent avec des caractères des deux sexes. Ces personnes dites "intersexuées" représentent environ 2 % de la population.

Pendant de nombreuses années, les scientifiques - suivis par les magazines de vulgarisation - ont considéré que ce qui définissait la femelle, c’était l’absence d’un chromosome Y. On devenait en quelque sorte "femelle par défaut". Une conception qui a notamment favorisé les recherches sur la formation des testicules au détriment des études sur les ovaires, supposés se former de manière "passive", bien que les deux organes présentent le même degré de complexité... On a donc longtemps cherché ce qui faisait exactement le mâle. Et ce n’est qu’en 1994 que, pour la première fois, deux chercheuses (tiens tiens) mettent en avant le gène DAX1 qui pourrait être, explique Joëlle Wiels, un gène actif dans la féminisation. On ne devient donc pas simplement femme parce que le chromosome Y est aux abonnés absents !

Les recherches continuent et apporteront encore bien des surprises... Même si l’on peut craindre que, chassées par la porte scientifique, les idées reçues ne reviennent toujours par la fenêtre de nos préjugés !


[1L’Homme et les sociétés, Gustave Le Bon

[2Voir à ce sujet le petit livre de Catherine Vidal intitulé Hommes, femmes avons-nous le même cerveau ?, Éditions Le Pommier 2007

Voir en ligne : Irène Kaufer dans le magazine Axelle de Vie féminine, janvier 2010