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Contre les opérations forcées

Publié le 28 septembre 2009

Attention, cet article ne reflète pas nécessairement le point de vue de Genres Pluriels. Les termes choisis ("hermaphrodite", "ils ou elles ?", "anomalie", ...) nous paraissent symptomatiques du binarisme qui imprègne la plupart des articles publiés au sujet des personnes intersexuées... Mais le fait est que de plus en plus de journalistes s’intéressent aux questions trans’ et intersexes, ce qui n’est pas forcément un mal ! Peut-être faudrait-il leur envoyer un petit glossaire et/ou des conseils de lecture ?

Article de Clare O’Dea, swissinfo.ch
(Adaptation de l’anglais : Samuel Jaberg, Olivier Pauchard)

Ils sont nés avec des attributs sexuels à la fois masculins et
féminins. Ils (elles ?), ce sont les hermaphrodites, des personnes à
qui l’on fait subir dès le plus jeune âge des opérations pour
« corriger » cette anomalie. Une situation que dénonce Daniela Truffer.
« C’est un garçon ! », « C’est une fille ! » : l’exclamation post-natale qui
fait le bonheur de tous les parents. Mais que se passe-t-il lorsque la
vie ne se conforme pas aux traditionnelles cartes de voeux et que
l’accouchement se transforme en une énigme insoluble ?

Daniela Truffer est venue au monde hermaphrodite. Les médecins, eux,
ont décidé d’en faire une femme. Cette Zurichoise de 44 ans milite
contre les opérations forcées et les traitements hormonaux infligés
aux enfants nés avec des organes sexuels indéterminés.

Douloureuses et irréversibles

Pour Daniela Truffer, il faut donner le temps aux individus de grandir
et de décider d’eux-mêmes s’ils veulent devenir un homme ou une femme.
Ou alors rester à mi-chemin, un phénomène nommé intersexuation ou plus
couramment hermaphrodisme. « Les opérations forcées ne sont pas une
solution », estime-t-elle. Une affirmation qui se base sur plusieurs
études médicales démontrant que la plupart des patients souffrent de
frustration et de regrets durant toute leur vie.

« Ces opérations sont douloureuses et irréversibles. La probabilité de
réduire ou même d’anéantir le désir sexuel est très importante. Les
opérations cosmétiques non-consentantes violent le droit à l’intégrité
physique et à l’auto-détermination. Cela va à l’encontre des droits de
l’homme », plaide Daniela Truffer.

Près d’un enfant sur 2000 naîtrait hermaphrodite. Ce fait est connu
des sociétés humaines depuis l’Antiquité. Mais avec le temps, les
personnes de sexe ni totalement masculin ni totalement féminin sont
devenues une minorité invisible, particulièrement depuis que la
chirurgie « corrective » est devenue la norme au 20e siècle.

Un impératif culturel

Les docteurs et les parents agissent sous l’emprise d’un impératif
culturel qui veut que lorsque des éléments des deux sexes sont
présents sur un enfant, un choix doit être opéré au plus vite. Daniel
Truffer, qui milite pour le droit des hermaphrodites depuis deux ans,
affirme que son cas est loin d’être atypique.

Née en 1965 « sans caractéristiques sexuelles clairement définies »,
elle possédait des chromosomes masculins, un micro pénis et des
testicules sous-développées qui ressemblaient davantage à des lèvres
vaginales. « Pour son bien », un genre lui a été assigné de manière
chirurgicale le plus rapidement possible. Les testicules de Daniela
lui ont été retirées alors qu’elle avait seulement deux mois. « Ils
m’ont castré ! », s’indigne-t-elle.

A l’âge de 7 ans, son micro pénis a été raccourci et transformé en
clitoris. Un vagin artificiel lui a été « attribué » à 18 ans. « La
plupart des gens que je connaîs ont moins ou plus du tout de
sensations sexuelles. C’est une atteinte cruelle aux droits de
l’homme. »

Sentiment de honte

Bien qu’elle était consciente de sa différence, ni ses parents ni les
médecins n’ont expliqué de manière adéquate à Daniela sa condition.
Elle a ainsi grandi avec un profond sentiment de honte. Sa colère est
maintenant dirigée contre l’établissement médical qui tarde à changer
sa pratique en matière de chirurgie d’attribution du genre.

« Ils se prennent pour Dieu. Les médecins encouragent les parents qui
sont complètement désorientés et ne savent que faire face à une
problématique encore taboue et secrète. »

Dans le cadre de la campagne suisse menée contre les opérations
génitales sur les enfants hermaphrodites, Daniela Truffer a adressé au
début du mois une lettre ouverte à l’hôpital universitaire de Berne.
Elle appelle les praticiens à mettre un terme aux « opérations
forcées ».

Choisir son genre

De nombreux médecins adhèrent encore à l’idée selon laquelle l’enfant
a besoin d’une identité biologique claire. La question n’est pas de
savoir s’il faut opérer, mais dans quelle direction l’opération doit
être pratiquée. Dans une interview récente, le chirurgien pédiatre
bernois Zacharias Zachariou expliquait l’importance « de prendre si
possible une décision dans les deux ans qui suivent la naissance. »

Mais le sexe biologique et le genre sont deux choses distinctes, comme
le souligne Kathrin Zehnder, sociologique à l’Université de Bâle. « La
plupart des gens pensent que ne pas procéder à une opération
chirurgicale signifie ne pas donner de genre. Or ceci, de mon point de
vue, est complètement faux. Vous pouvez de toute façon attribuer un
genre à un enfant. Même s’il semble un peu différent dans son corps,
cela ne signifie pas que vous devez le qualifier d’enfant
hermaphrodite », affirme la sociologue.

Kathrin Zehnder connaît ainsi une mère qui traite son enfant comme une
fille tout en lui expliquant, avec des mots appropriés à son âge,
qu’elle a aussi la capacité de devenir un jour un garçon. « Je ne suis
pas certaine que vous puissiez préserver un enfant de la différence au
travers d’une opération chirurgicale, ajoute-t-elle. Que faîtes-vous
si l’enfant se sent différent ? Vous ne pouvez pas faire une ablation
chirurgicale de la différence ».

Dédommagement

Un consentement basé sur une bonne information est une question
difficile, selon Daniela Truffer. Ainsi, lors d’un récent procès en
Allemagne, un patient qui avait été transformé en homme lors d’une
opération de routine a touché 100’000 euros de dédommagement pour la
perte inattendue de ses organes génitaux féminins.

Un tel cas pourrait-il se produire en Suisse ? Selon Andrea Büchler,
professeur de droit à l’Université de Zurich, c’est possible. « Une
intervention médicale requiert le consentement de la personne
impliquée », explique-t-il.

« Normalement, les parents peuvent décider pour leur enfant,
poursuit-il. Toutefois, assigner un genre au travers d’une opération
touche au plus profond de la personnalité et ne devrait donc pas être
entrepris sans le consentement de l’enfant concerné - sauf en cas de
nécessité médicale. »

Des changements

Quelques hôpitaux, comme la clinique pour enfants de Wildermeth, à
Bienne, ont déjà renoncé à manier le scalpel pour traiter des bébés
intersexués. Des tests chromosomiques sont effectués sur les enfants
dont le sexe n’est pas clair.

« Selon les résultats, nous conseillons aux parents d’attendre jusqu’à
ce que l’enfant puisse lui-même choisir son genre, déclare Christine
Aebi, endocrinologue à la clinique. A Bienne, on ne pratique des
opérations que si le positionnement des parties génitales affecte
l’élimination de l’urine ou des selles. »

Daniela Truffer reconnaît que les parents d’enfants intersexués sont
confrontés à un dilemme terrible. Malgré la difficulté qu’il y a à
« élever un enfant à l’identité sexuelle ambiguë dans ce monde », elle
considère cependant que toute autre choix « blesse le corps et
l’esprit. »


Clare O’Dea, swissinfo.ch
(Adaptation de l’anglais : Samuel Jaberg, Olivier Pauchard)